De l’importance du lien social pour faire société

Lors de la 5ème rencontre de #ProjectionLS qui a eu lieu samedi 23 juin 2018, a été diffusé le film « On est pas là pour marcher tout seul » qui aborde le thème de la solitude et du besoin transversal de lien social. Ce fut l’occasion de la sortie officielle du DVD de ce film réalisé à la Source en 2016. Un échange productif a suivi la projection du film dans lequel de nombreuses pistes ont été abordées pour lutter contre le fléau du replis sur soi et de la solitude.

La solitude est un mal silencieux, une souffrance souvent invisible et qui pourtant a des effets dévastateurs sur nos vies, et des répercutions grave dans la société. Il peut tout autant s’agir de « petits riens » : un moment de déprime, un mal être au travail ou un sentiment d’incompréhension dans le couple. Mais ce même mal est aussi source de phénomènes bien plus grave comme le suicide ou la radicalisation de la jeunesse (sectes et intégrisme religieux de toute sorte, qui sont autant de façon de retrouver une forme de « famille » pour celui qui se sent seul). Sans aller aussi loin, constatons néanmoins que ce sentiment est transversal et universel. Il s’exprime dans la culture (musique, cinéma, etc.), chez nos proches, ou même en nous. Il est source de tristesse, d’angoisse, de mal-être et, bien qu’il puisse parfois être constructif, il conduit souvent à des comportements mortifères (addiction, violence, etc.)

 

« On est pas là pour marcher tout seul » est un film local à plus d’un titre. Il est le fruit de la rencontre du réalisateur Edouard Carrion, de l’éducatrice d’Eclipsa Nélia Chihuaïlaf et du collectif d’artistes des Arteliers de la source (voir ici ou encore ici). Le premier souhaitait travailler avec une association de quartier afin de réaliser un film proche des gens, la deuxième a mis en place des ateliers d’écriture d’où est né le sujet du film (la solitude, ou plutôt, les différentes formes de solitudes) et son scénario et les troisièmes ont aidés aux décors, à la logistique et à la mise en scène. Dans un second temps, l’équipe s’est mise à tourner le film à l’aide d’acteurs professionnels (Zakia Allel et Christophe Thébault), semi-professionnels et amateurs (issus notamment de l’association Eclipsa et des Arteliers de la source). L’action se passe bien évidemment à la Source, et nous observons dans le film de superbes prises de vue de ce quartier que l’on découvre rempli de verdure. L’histoire nous amène à la découverte d’une famille qui passe par un moment de difficulté, ainsi que de différents habitants d’un même immeuble et leur relation naissante grâce à Élodie, une étudiante fraichement débarquée. Elle nous montre surtout les ressources qui peuvent être mobilisées quand on sait faire appel à l’autre et être à son écoute, et les solutions qui naissent de ces interactions.

Lors de l’échange qui a suivi la projection du film, les prises de paroles ont été unanimes pour féliciter l’équipe pour cette magnifique réalisation et valoriser le travail quotidien d’Eclipsa en faveur de la sauvegarde du lien social dans le quartier de la Source. Il a été rappelé le contexte dans lequel le film a été réalisé et les réactions qu’il a produit lors des différentes projections qui ont eu lieu en 2017. De nombreux sujets furent évoqués au long de la conversation pour chercher à comprendre les facteurs défavorables à la construction du lien social entre les habitants du quartier. Parmi ceux-ci, le manque de lien (quasiment inexistant, à notre grande insatisfaction) entre l’université d’Orléans, ses étudiants et les habitants du quartier, ou encore la « résidentialisation » de celui-ci à travers la mise en place de nombreuses clôtures séparant les espaces. Les participants se sont également étendus sur le manque de lieux de sociabilité et l’absence de mixité de genre dans les quelques lieux existants. Au delà de ces sujets spécifiques au quartier, ont également été abordées des thématiques plus générales qui sont elles aussi à l’origine d’un sentiment de solitude, comme le traitement réservé aux anciens dans notre société, la problématique du manque de confiance dans les relations humaines, ou le manque d’éducation des personnes que l’on croise dans la rue (on a ainsi parlé à plusieurs reprises du manque de « regards » entre les gens, ou de comportements aussi simple que « dire bonjour » ou « tenir la porte »  qui sont devenus rares selon certains).

 

Finalement, un des points majeurs de cet échange fut d’admettre qu’il est important de pouvoir compter sur les autres et que l’on est plus fort à plusieurs que tout seul. Comme tel, il fut rappelé à quel point il est éminemment important de ne pas se renfermer sur soi mais bien d’échanger, de s’ouvrir à l’autre, de faire confiance. Le « vivre ensemble », au delà de l’expression pleine de bons sentiments et de récupérations politiques en tout genre, fait véritablement sens lorsque l’on parle de solitude. Une société n’est pas la somme de ses individualités, elle est avant tout les échanges qu’elle produit. Si ces échanges sont faits de mésentente, d’incompréhension et de violence, comment peut-on attendre qu’elle soit juste et prospère? Dans un quartier comme la Source, de même qu’ailleurs, nous sommes bien obligés de « vivre ensemble », bon gré, mal gré, sans quoi nos enfants ne pourrons pas apprendre à « faire société ». Et cela n’est pas plus évident ici qu’ailleurs, bien au contraire. Quartier aux milles racines, la Source est remplie de personnes qui ont tant à partager et pourtant si peu à se dire…

Alors comment fait-on? Quelle stratégie mettons-nous en place pour favoriser les échanges et le lien social, l’écoute et l’acceptation de l’autre et ainsi lutter contre la solitude et le replis sur soi? Quelques pistes furent évoquées vers lesquelles travailler de façon collective. Parmi celles-ci retenons l’importance, donc, de posséder des lieux de sociabilités ouverts à tous (toutes origines, genres, et âges confondus) comme nous cherchons d’ailleurs à le faire chez Eclipsa. Il faut ainsi valoriser et soutenir les initiatives des associations de proximité dont le bénéfice est incalculable pour la société. Mais aussi, au quotidien et plus individuellement, nous devons apprendre à aller vers l’autre, lui sourire, lui parler, et lui donner de notre attention. Cet autre c’est notre voisin de palier, notre collègue de travail, l’inconnu dans la rue ou même les membres de notre famille, toutes ces personnes que l’on a tendance à « abandonner à leur sort », selon l’expression consacrée, et chez lesquelles pourtant nous avons tant à découvrir!

 

A l’issu du débat, et comme à notre habitude, nous avons poursuivi nos échanges de façon informelle autour d’un buffet partagé et d’un peu de musique. L’occasion de tisser de nouveaux liens?

 

Pierre Simon

 

Pour aller plus loin:

https://www.facebook.com/Eclipsa45/

 

Retour sur un malentendu

La projection du film documentaire « Le grand malentendu » samedi 14 avril aux Arteliers de la Source a été l’occasion de libérer la parole sur le thème du rapport parents/école. Le débat qui a suivi le film a permis un échange constructif sur un sujet vieux comme l’école, et pourtant toujours aussi actuel.

 

A l’appel de l’association Eclipsa, le film « Le grand malentendu » de Dominique Delattre a été projeté aux Arteliers de la source samedi 14 avril dernier. L’idée était, dans le cadre de #ProjectionLS, d’aborder le thème de l’éducation. En effet, notre travail de terrain nous a permis d’identifier une problématique qui n’a rien d’une nouveauté mais qui pourtant est un sujet de préoccupation pour de nombreuses familles de nos quartiers : celle du rapport entre les parents et l’institution scolaire (de la maternelle au lycée).

Car aujourd’hui encore, et malgré l’engagement de l’éducation nationale et de nombreux acteurs (dont le réseau EPE 45 et la FCPE du Loiret, tous deux présents samedi), le manque de communication est parfois criant entre les responsables de l’éducation des enfants. Le fait que la co-éducation (voir ici) soit reconnue par les textes de loi, n’empêche malheureusement pas ce problème de perdurer. Pourtant, tous les parents se sentent concernés par l’avenir de leurs enfants et celui-ci passe souvent par une réussite scolaire. Alors quelle est la raison de ce problème? Est-ce par manque d’implication des parents ou du fait d’une lacune du système scolaire?

Rien ne sert d’opposer parents et école

Le film de Dominique Delattre le montre bien : rien ne sert d’opposer parents et institution scolaire dans l’analyse de cet échec. Il s’agit au contraire dans chaque école, sur chaque territoire, et tout au long de chaque année scolaire de poursuivre cet effort de construction d’une relation pérenne. C’est une bataille qui n’est jamais gagnée d’avance. Le pédagogue Philippe Meirieu, interrogé dans le cadre du film, explique qu’il est essentiel d’éduquer les parents sur les enjeux de la pédagogie, telle qu’appliquée au sein de l’école de leurs enfants. Autre sujet clé abordé dans le film concernant les parents: la question de l’éducation à l’orientation, sans quoi beaucoup finissent par se faire déborder par un système sur lequel ils n’ont que peu de prise.

Car on constate qu’au final le modèle que les parents appliquent le plus souvent est celui qu’ils ont eux même expérimenté, même si celui-ci a été violent pour eux ou a mené a un échec. Mais alors, comment rompre avec cette dynamique de reproduction des inégalités et redonner son rôle d’ascenseur social à l’école? Plusieurs pistes sont abordées dans le film. Il invite tout d’abord les parents à être physiquement présent dans l’école, la seule façon pour eux de comprendre vraiment ce qui s’y passe, et un des meilleurs moyens de rétablir ce lien qui manque avec les professeurs. Idéalement, il faudrait également que les enfants comprennent que leurs parents ont eux aussi eu des difficultés à l’époque de leur scolarisation. Cela permet aux élèves de prendre du recul, d’être moins stressé au quotidien et cela redonne aux parents ce rôle de modèle à suivre, un modèle accessible puisque imparfait. Mais l’effort doit aussi venir de l’institution qui doit chercher à prendre en compte le savoir faire des parents. Le film soulève que l’école devrait peut-être chercher à enseigner plus que des connaissances, quelque chose comme apprendre à devenir autonome.

Un sujet qui fait beaucoup parler

Les échanges qui ont suivis la projection du film ont été riches en informations et en émotions. Nous avons pu le vérifier, ce sujet est véritablement source de préoccupation et nous avions dans notre public un certain nombre de parents et de professeurs concernés. Sans rentrer dans le détail des échanges, notons que certains remontent que les enfants d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier, et que l’institution a du mal à s’adapter aux nouveaux comportements et manières d’être des élèves (notamment en terme de concentration). On a pu observer que de nombreux parents « se sentent démunis » et qu’ils sont en recherche de solution. De même, il a été dit que les situations peuvent varier énormément d’une école ou d’un cycle à l’autre et qu’il est difficile de généraliser sur « une situation » de l’éducation nationale, bien qu’il ait été souligné à plusieurs reprises que le passage de l’école primaire au collège est difficile pour les parents (comme pour les élèves), qui se sentent « abandonnés ». D’autres ont plus insisté sur le manque de prise en compte par le système éducatif des intelligences multiples ou du manque d’éducation aux émotions (ce qui permettrait aux enfants de mieux comprendre ce qui leur arrive, de mieux accepter certaines situations, et de rebondir de façon positive face à des situations d’échec notamment). L’idée d’utiliser une « communication non violente » (ou « CNV », voir notamment ici) est ainsi revenu plusieurs fois dans le débat.

Ont aussi été dénoncé le manque de moyen et une forme de violence institutionnalisée  vis à vis des élèves qui sont toujours les grands perdants des différentes réformes selon certains. D’autres intervenants préféraient exprimer le fait qu’il ne faut pas tout attendre du système scolaire ou de tel ou tel ministère, et que les solutions sont à trouver ensemble, dans la société. Les propos d’un professeur de collège n’étaient pas si éloignés quand il disait l’importance pour le bien-être des élèves que l’équipe pédagogique reste unie avant tout. Une autre participante a regretté que les équipes pédagogiques ne parlent aux parents que de ce qui ne va pas: « Cela apaiserait les tensions s’il y avait une communication aussi quand ça va ». On comprend bien que ce n’est pas par négligence mais bien à cause d’une surcharge de travail que l’on en arrive à cette situation. Cependant il importe de faire attention à ce type de remarque car au final, pour reprendre les mots d’un autre intervenant, « le moteur pour apprendre est l’envie ». Vers la fin des échanges, une personne qui connaît l’école de l’intérieur est intervenue en dénonçant la violence intrinsèque d’un système qui lie résultat scolaire et choix d’avenir, et a questionné l’assistance sur le type d’école que l’on souhaite: une école qui amène à une orientation, c’est à dire qui sélectionne et divise entre « bons » et « mauvais », ou une école qui éduque et enseigne des valeurs?

Car il faut bien conclure…

Comme on peut le constater, les échanges ont été à la fois intenses et bienveillants. Bien que le débat se soit parfois écarté du sujet initial pour s’élargir à un questionnement en profondeur de notre système d’éducation en tant que tel, il a pourtant permis de dégager quelques lignes d’analyses concrètes. Notamment, il aura mis le doigt sur certaines contradictions et les parents présents seront repartis de la soirée avec de nouvelles ressources. Reste à savoir comment l’éducation nationale abordera dans les années à venir les défis qui l’attendent concernant ce sujet du rapport entre les parents et le corps enseignant, dans un contexte de désamour et de méfiance grandissant. Car dans notre modèle de société l’école a été et reste aujourd’hui encore la réponse a beaucoup de défis d’ordre sociaux et philosophiques et il serait inconscient de ne pas investir en elle nos espoirs et notre énergie.

Pour aller plus loin:

http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i2117.asp

http://www.epe45.fr/qui-sommes-nous

http://www.fcpe45.net/

https://www.facebook.com/Eclipsa45/

https://www.instagram.com/eclipsa45/

http://www.arteliers.org/

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